INTERVIEW avec EVELYN PETROVA

Peux-tu te présenter au public français ?
Quand j’étais enfant, j’avais une amie qui faisait du piano. J’aimais l’écouter jouer. Je m’asseyais et je regardais le piano. Le mouvement des touches blanches et noires me procurait une émotion mystique. C’était trop tard pour m’inscrire au cours de piano à l’école. Je me suis donc tournée vers l’accordéon. Ma mère trouvait que cet instrument symbolisait l’esprit de la convivialité.
Je passais toutes mes vacances dans le village de ma grand-mère. C’est une de mes autres expériences mystiques de mon enfance. Je me souviens de tout, même de ce qui pourrait sembler insignifiant : de mes vacances d’été animées aux traces laissées par une souris dans la neige les soirs d’hiver très calmes.
Je me souviens également de mes premières expériences musicales. J’étais toujours très gênée et très nerveuse avant un concert. Nous faisions souvent des concerts dans des endroits différents. J’étais une élève très brillante. Je participais donc à presque tous les concerts. Avec le temps, ma nervosité s’est estompée. Pourtant, une fois, nous sommes allés jouer dans une région militaire où les spectateurs étaient uniquement de jeunes hommes. Ma nervosité est revenue de plus belle. Je me suis assise et j’avais oublié ce que je devais jouer. Je n’ai pas pu produire un son ce soir-là. Après le concert je suis allée dans la forêt et j’ai pleuré longuement. Quelques personnes sont venues me soutenir et me dire des mots gentils. Je dois reconnaître que c’est un bon souvenir de concert au niveau des échanges amicaux avec le public. J’avais quatorze ans.

Parlons de ton dernier CD publié chez Leo Records Year’s Cycle. Comment est né ce projet ?
Je pense que tout est parti du duo avec Slava Guyvoronsky et de mes études en section «Théâtre d’improvisation musicale» à l’Académie théâtrale de Saint-Pétersbourg où Slava était responsable d’une classe.Nous avons joué ensemble durant plus de six ans et avons conçu des programmes où la musique classique, le jazz et la musique contemporaine se mêlaient à des éléments folks. Nous avons réalisé trois albums.
Mon expérience de compositrice a débuté avec le duo pour lequel j’ai écrit quelques compositions. Mais après notre séparation, j’ai commencé à prendre conscience que le chant pouvait remplacer la trompette. Durant mon enfance, j’ai entendu chanter ma grand-mère qui vivait dans un village. Ses chansons m’ont marquée. J’aime beaucoup la poésie traditionnelle, les contes de fée, les rituels. Et peut-être que d’une certaine façon ce projet est né de mon amour pour les chansons de ma grand-mère et de mon expérience d’écriture avec Slava.

Peux-tu nous expliquer le concept de ce projet ? (chaque pièce porte le nom d’un mois, comme un calendrier)
Il y a quelque temps, j’ai relu un conte de fée russe intitulé Douze mois dans lequel une jeune fille est envoyée par sa belle-mère, un jour d’hiver très froid, chercher des perce-neiges. Au cours de son périple, elle arrive dans une clairière et fait la rencontre de douze hommes (dont chacun porte le nom d’un mois de l’année) qui décident de lui venir en aide. J’ai pensé que chacun des douze personnages possédait sa propre chanson. A cette suite, j’ai beaucoup lu de la poésie sur les rites et la vie dans les villages (pas seulement en Russie) où les gens sont très éloignés de la civilisation et très proches de la nature. Chaque mois est caractérisé par certaines actions en relation avec le lever et le coucher du soleil. C’est pourquoi, j’ai commencé un cycle à partir du mois de décembre qui correspond au solstice d’hiver. Chaque action était accompagnée par des chansons ou de simples répliques (sur des sujets tels que la moisson, le mariage, les funérailles ou bien des discussions entre des femmes assises sur un banc devant la maison). Tout ceci peut paraître très simple mais si on lit attentivement et si on réfléchit à la portée de ces contes, on découvre leur sens profond. C’est, pour moi, très intéressant.

Peux-tu nous parler des difficultés du jeu en solo ? Et, d’une façon plus générale, le fait de jouer en solo t’apporte-t-il quelque chose pour tes futures créations ?
Le jeu en solo possède des avantages et des inconvénients. Dans le duo, les échanges avec le partenaire sont essentiels. Le solo suppose, quant à lui, d’autres échanges. La musique est créée pour communiquer avec le public. Sur scène, j’essaie de constituer un espace spécifique pour plonger dans la profondeur du son et retrouver ainsi le sens fondamental de la musique. C’est difficile car le résultat m’appartient. Mais, il peut aussi y avoir des avantages car je ne dépends pas de l’humeur et de la bonne volonté du partenaire. Je pense que le choix d’un partenaire que ce soit pour un duo ou pour de plus grandes formations est très important, tout particulièrement dans ce genre de musiques très intimes. Le projet  Year’s Cycle a débuté en duo avec Slava Guyvoronsky. Mais nous avons eu quelques sujets de discorde au niveau à la fois créatif et personnel. J’ai donc continué l’aventure seule. Ce fut, au début, difficile mais, après quelques concerts en solo, j’ai commencé à croire en moi-même. C’est nouveau et très intéressant pour moi.

Tu apprécies beaucoup le jeu en duo. Peux-tu nous expliquer pourquoi ?
C’est exact. Toutefois, je n’ai pas suffisamment d’expérience musicale pour dire quel est mon format de jeu préféré. J’ai commencé ma carrière en jouant de la musique moderne et j’ai fait des concerts avec huit musiciens. Mais, peu à peu, certains musiciens ont quitté le groupe. Un excellent flûtiste est ainsi parti et finalement la formation s’est transformée en duo. Plus précisément, nous nous sommes retrouvés, Slava Guyvoronsky et moi, à jouer ensemble pendant six ans. Et même s’il nous arrivait de jouer avec d’autres musiciens en quartet ou plus, intuitivement, je privilégiais l’un d’entre eux, c’est-à-dire Slava, et n’échangeais mes impressions musicales qu’avec lui. Aucun de nous deux ne trouvait vraiment opportun de s’associer avec de nouveaux musiciens. Plus tard, quand j’ai commencé à jouer avec d’autres musiciens, nous nous sommes séparés.
Trouver un musicien avec qui on partage le même amour de la musique est très difficile. Trop souvent les intérêts financiers et personnels prennent le dessus. Mais peut-être suis-je trop exigeante quant au choix d’un partenaire. Il faut dire que j’ai été très marquée par Slava car nous parvenions à faire de chaque son une révélation.

Peux-tu nous parler de ta collaboration avec Slava et des albums que vous avez réalisés ?
Ma collaboration avec Slava a commencé à l’Académie de musique et de théâtre où il était responsable de la classe dans laquelle j’étais élève. Nous avons fait beaucoup d’expérimentations mêlant la musique et le théâtre, le rythme et les mots, les sons et le silence.

En raison du caractère spécial de cette classe, nous avions besoin de faire intervenir beaucoup de professeurs différents — venant d’autres grandes écoles — que nous invitions. Par manque d’argent, notre classe fut fermée. Toutefois, le groupe qui avait été créé grâce à cette classe a continué d’exister. Nous jouions des réorchestrations de musique classique et de musique médiévale pour une formation peu commune et avec des traitements musicaux inattendus réalisés par Slava. Nous avons réalisé un album de ce travail qui s’intitule Postfactum (Sol. Rec., 1999). Une telle musique exigeait un large déploiement d’énergie et beaucoup de répétitions. De nombreux musiciens ne l’ont pas supporté et sont partis. Mais le duo s’est poursuivi. Ce furent les années les plus importantes de ma vie. J’ai commencé à étudier au Conservatoire à cette époque et j’ai poursuivi ma collaboration avec Slava. Nous avons créé quelques programmes, joué dans des festivals et j’ai étudié la composition. Cette période fut  pleine d’émotions et de découvertes.
Nous avons enregistré deux albums. Le premier s’appelle Choyi together (Leo Records) et consiste en des compositions de Slava dans un style jazz. Le second s’intitule Homeless songs. Dans ce projet j’ai fait mes premiers essais. Cet album préfigure Year’s cycle.

Comment travailles-tu ton instrument ? Il n’y a beaucoup d’accordéonistes dans le jazz contemporain ? Connais-tu, par exemple, les travaux d’Andrea Parkins et de Ted Reichmann ?
J’aime beaucoup l’accordéon et j’essaie de lui consacrer le maximum de temps pour expérimenter de nouvelles choses mais je suis souvent très paresseuse. Je ne crois pas en l’inspiration mais au travail. La musique agit parfois sur moi comme une thérapie. Quand je me sens mal ou bien je prends mon instrument et je retrouve de la sérénité. L’accordéon est un très jeune instrument dans les musiques créatives. Il n’y a pas si longtemps il n’était utilisé que pour les chansons, la danse ou les fêtes populaires. Je pense toutefois que l’accordéon a un bel avenir devant lui et qu’il est parvenu à intéresser des musiciens créatifs.
De nos jours on peut trouver chez les disquaires des albums d’Astor Piazzolla ou de Richard Galliano mais très peu d’albums d’accordéon contemporain. Je n’avais pas entendu parler auparavant d’Andrea Parkins et de Ted Reichmann. J’aime beaucoup l’accordéoniste français Jean-Louis Matinier.

Qu’aimes-tu faire quand tu ne joues pas de la musique ?
J’aime écouter le silence. J’aime la forêt, la nature, le sport, les voyages. Mon inspiration musicale vient de mes amis artistes, de photographes, de poètes ou encore de mon amie Svetlana Proskurina qui est de retour du festival de Venise où elle a présenté son film Remove access.

 Quelles sont tes expériences sur la scène musicale française ?
Je suis revenue en France il y a un mois. J’étais dans le département de l’Ardèche. J’avais une série de sept concerts programmés en solo et en duo avec le violoncelliste Viktor Sobolenko. Il y a quelques années de cela, je me suis produite au Festival de Mulhouse (1999) et au Mini-fest à Marseille (2002). J’étais en duo avec un de mes fidèles complices, le trompettiste Slava Guyvoronsky.

Quels sont tes projets ?
Je suis en train de composer un nouvel album qui, je l’espère, sera publié chez Leo Records au début de l’année 2005.

Interview par Sabine Moig




Evelina Petrova and Roberto Dani
Part of the project "Mirrors. Dedication to Andrey Tarkovsky"
Fornacepasquinuci gallery, Italy 2014



Two fragments
(Lullaby, Round-Dance)



Evelina Petrova and Alexander Balanesku. Video from Ethnomechanica world music festival 2009 in Saint-Petersburg.

Previous concerts

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